mardi 14 juillet 2009

Watteau*


« Chaque mois, la biographie abrégée d’une personnalité choisie pour désigner un bâtiment de l’université de Valenciennes est publiée dans le Bulletin de l’Institut Culturel Universitaire. Elle permet de familiariser les lecteurs avec ces noms qui ont tous pour point commun d’être très importants dans l’histoire des arts et d’être originaires du Hainaut-Cambrésis ou de l’Avesnois. Ce mois-ci [février 1998], Richard Zrehen, directeur de collections aux Belles Lettres [Figures du Savoir et L’Arbre de Judée] et intervenant auprès du département Arts plastiques, nous parle d’Antoine Watteau [on prononce « Ouatteau », dans la région], dont le nom est attribué au bâtiment regroupant l’Institut Universitaire de Technologie, la Faculté des Sciences et des Métiers du Sport, la Scolarité et le Service Universitaire d’Accueil, d’Orientation et d’Insertion Professionnelle… »

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Jean-Antoine Watteau, né à Valenciennes en 1684, mort à Nogent-sur-Marne, en 1721.

Il travaille d’abord à Valenciennes, dès l’âge de dix ans, dans l’atelier de Jacques-Albert Gérin, puis, à sa mort en 1702, monte à la capitale où il va survivre en faisant des copies d’images religieuses… et découvrir les peintres flamands.

En 1703, il peint la Vraie Gaieté (musée de Valenciennes) et rencontre le peintre Claude Gillot (1673-1722) chez qui il va rester cinq ans, entretenant avec lui des relations orageuses, et où il a l’occasion d’approcher les personnages de la Comédie italienne, fort en vogue à l’époque – Gillot est aussi décorateur de théâtre. Il peint Qu’ay-je fait assassins maudits ?, satire proche du Monsieur de Pourceaugnac (musée Pouchkine à Moscou), les Petits comédiens (musée Carnavalet à Paris) et un Arlequin empereur de la lune (musée de Nantes). Il commence à être apprécié et reçoit beaucoup de commandes.

En 1708, Claude Audran, le concierge [gardien et intendant] du palais du Luxembourg, l’accueille, lui demande de l’aider dans ses commandes (Les mois grotesques pour Meudon) et lui confie une partie de la décoration du château de la Muette – connue par la gravure uniquement : les originaux ont disparu et le château de la Muette [situé dans le nord du seizième arrondissement de Paris] est aujourd’hui le siège de l’OCDE. Watteau exécute un certain nombre de travaux dans le goût du temps : chinoiseries, « singeries », exotisme et galanterie. Au palais du Luxembourg, il peut longuement étudier Véronèse et le Titien ; surtout, approfondir sa connaissance de Rubens (1577-1640), qui aura une grande influence sur l’évolution de son style, devenant graduellement plus délicat et porté à jouer des transparences.

En 1709, Watteau est reçu second au Prix de Rome.

En 1710, il revient à Valenciennes, peint quelques sujets militaires assez réalistes mais abandonne vite le genre.

Il retourne à Paris, s’installe chez Sirois, beau-père du peintre Gersaint (le portrait de Sirois est à Londres, coll. Wallace), se consacre aux masques de la Comédie italienne et se lie avec Alain-René Lesage, l’auteur du Diable boiteux et de Gil Blas de Santillane. En 1712, Watteau est reçu premier au Prix de Rome, est agréé à l’Académie Royale de Peinture, et fait la connaissance du financier Pierre Crozat qui l’accueille, lui confie la décoration de son hôtel et lui permet d’étudier à loisir sa considérable collection de dessins flamands, particulièrement ceux de Van Dyck. Chez Crozat, à Nogent-sur-Marne, Watteau travaille longuement la technique du paysage, peint les Saisons (Washington, National Gallery) et la Nymphe surprise par un satyre (le Louvre), où se voient l’influence de Rubens, celles des peintres vénitiens, mais aussi une étonnante maîtrise du rendu de la lumière – qui est bien la sienne.


De 1716 à 1721, tout s’accélère. Watteau est malade (il est « phtisique » depuis son jeune âge), il est instable, déménage souvent, peint beaucoup : des portraits, assez rarement, des nus, des tableaux religieux, et ces toiles qui sont ce qu’on retient le plus volontiers de son œuvre, les compositions galantes comme le Pèlerinage à Cythère (musée de Berlin) achevé en 1717 – qui lui vaut de devenir membre de plein droit d’une Académie Royale de Peinture créant, spécialement pour lui, un genre : la « fête galante » –, la Perspective (musée de Boston), ou les Champs-Elysées, les Divertissements champêtres et les Charmes de la vie de la collection Wallace.

Watteau : le peintre de tous les plaisirs, léger, aérien, plein de grâce et d’invention, virtuose aux coloris délicats et aux transparences subtiles.

Il y a un autre Watteau : celui qui s’intéresse au théâtre, aux masques, aux caractères stylisés, si lourds de pathos : Arlequin, Colombine et Gilles le niais, le mélancolique, le bafoué, l’innocent, blafard et accablé, surplombant, immense et blanc, ses compagnons plus colorés (la toile est au Louvre). Gilles, en qui on reconnaît, par anticipation (!), le Pierrot lunaire ivre de chagrin et de désespoir du belge Albert Giraud (1860-1929), mis en musique, passionnément expressionniste, au début du XXe siècle par Arnold Schönberg…

Cet autre Watteau amène à regarder autrement sa peinture galante : sous la délicatesse, les décors raffinés et les promesses du plaisir, la fêlure des passions, l’usure imperceptible du temps, l’indication équivoque de la fin.

Watteau meurt à Nogent, à l’automne 1721, dans la propriété de Philippe Le Fèvre, intendant des Menus-plaisirs [du Roi]… après avoir partagé ses dessins entre ses amis Gersaint, de la Roque et Pater. Ces dessins, pour la plupart conservés à Stockholm, au British Museum, au Goethe-National Museum et au Schlossmuseum de Weimar, et au Louvre, confirment et la maîtrise technique et la discrète inquiétude du Valenciennois (disparu à trente-sept ans) qui mettait la chair en avant alors qu’il était tourmenté par l’esprit. Pudeur toute septentrionale.



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* Une version, légèrement amendée, de ce texte a été publié par le Bulletin d'Informations Culturelles de l'Institut Culturel Universitaire de Valenciennes (Les Tertiales, rue des Cents Têtes) en février 1998.


Bibliographie :

- Petit Larousse de la Peinture, sous la direction de Michel Laclotte, Conservateur en Chef du département des Peintures du Musée du Louvre, Paris, Larousse, 1979.

- Pierre Cabanne, Dictionnaire des Arts, Paris, Bordas, 1979.

- P. Rosenberg et E. Camesasca, Tout l’œuvre peint de Watteau, Paris, Réunion des musées nationaux, 1979.


Illustrations :

Watteau, Deux danseurs © Klassik Stiftung Weimar.

Watteau, Gilles © DIRECTMEDIA Publishing GmbH.

Richard J. Niebolo ©1971 Nonesuch Records.


Watteau © Copyright 1998-2009 Richard Zrehen

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